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Modernisation de la justice du XXIe siècle : Une vision purement gestionnaire de la justice.

Depuis trop longtemps et en permanence, l’institution judiciaire est confrontée à des critiques violentes. Ces attaques, outre leur caractère délétère, ignorent les difficultés auxquelles fait face la justice – paupérisation permanente, « longue tradition d’abandon budgétaire », pour reprendre l’expression d’un éminent juriste – et les nombreuses décisions rendues qui ne prêtent à aucune controverse.

Or, les conséquences du discrédit que le discours ambiant jette sur la magistrature sont claires : suspicion de nos concitoyens, découragement des juges, déconsidération de l’autorité judiciaire dans son ensemble.

C’est dans ce contexte que nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, après l’échec de la commission mixte paritaire.

Inspiré par de nombreux rapports et recommandations, ce projet de loi, présenté en conseil des ministres en septembre 2014 par la précédente garde des sceaux, avait suscité la déception des professionnels du droit, des associations et des syndicats, tant les besoins sont grands.

Pour notre part, nous nous étions abstenus en première lecture, les résultats des efforts réalisés en matière d’accueil des justiciables dans les palais de justice et les pâles modifications des dispositifs d’accès au droit étant loin de nous convaincre, s’agissant notamment de l’accès au droit pour tous.

Après son passage à l’Assemblée nationale, le texte –désormais aussi long qu’hétéroclite – nous revient considérablement modifié. Cinquante-cinq nouveaux articles ont été ajoutés aux cinquante-quatre que le Sénat avait adoptés. Ils portent sur des sujets de fond dont l’importance majeure aurait largement justifié la deuxième lecture que le Gouvernement a refusée au Sénat.

En effet, certaines des dispositions adoptées modifient considérablement notre organisation judiciaire, voire des pans entiers de notre droit pénal ou civil : suppression de la collégialité de l’instruction, mesures de répression de la conduite sans permis ou sans assurance, changement d’état civil pour les personnes transgenres, réforme du divorce par consentement mutuel sans juge ; cette liste n’est pas exhaustive…

Ce qui transparaît à la lecture de ce texte, c’est une approche purement gestionnaire de la justice : loin de renforcer les moyens, il s’agit en fait de gérer, voire d’entériner, la pénurie que j’ai évoquée précédemment.

À cet égard, le développement des modes alternatifs de règlement des litiges est particulièrement éclairant. En effet, pour répondre aux difficultés constatées, la tentation est de de sortir de la justice pour confier son office à d’autres, pour reprendre les mots de Mme Frison-Roche, c’est-à-dire, dans les faits, de délaisser l’institution au motif de la sauver. C’est ainsi que les modes alternatifs de règlement des litiges peuvent dégénérer en contournement du juge ; c’est exactement ce que prévoit ce projet de loi.

S’agissant de l’introduction d’un nouveau type de divorce par consentement « sans juge », nous considérons qu’il aurait fallu procéder à une étude d’impact et à une concertation sérieuse. En effet, au final, il semble que l’instauration de ce dispositif répond, en premier lieu, à la volonté de gérer la pénurie de magistrats et fait fi des besoins des justiciables, qui, en la matière, peuvent émerger des années après le divorce.

Concernant le changement d’état civil pour les personnes transsexuelles, nous regrettons que la commission des lois du Sénat ait complexifié les démarches. C’est pourquoi nous proposerons une « démédicalisation » totale et une déjudiciarisation de la procédure.

S’agissant de la justice des mineurs, comme nous l’avions souligné en première lecture, nous regrettons le report constant, depuis le début de la législature, de la refonte de l’ordonnance de 1945. Il est peu de sujets qui soient plus brûlants que celui de la justice des mineurs, présentée par certains comme en partie responsable des maux actuels, « liée à l’état de notre société et à notre conception de l’enfance et de la justice ». Sur ce sujet, le débat se réduit trop souvent à une opposition entre les tenants de l’éducation et ceux de la répression.

Les quelques modifications introduites par voie d’amendements sont loin de constituer une réforme ambitieuse de la justice des enfants et des adolescents, d’autant que la commission des lois du Sénat est revenue partiellement sur l’interdiction de la réclusion à perpétuité pour les mineurs.

Pour autant, nous nous félicitons de la suppression du tribunal correctionnel des mineurs, que nous avions appelée de nos vœux à plusieurs reprises.

En revanche, l’extension de la possibilité, pour le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs, de cumuler le prononcé d’une peine et celui d’une mesure éducative ne nous paraît pas opportune. C’est la raison pour laquelle nous demanderons la suppression de cette disposition.

S’agissant du dispositif de la collégialité de l’instruction, nous sommes hostiles à sa suppression. Introduit à la suite de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, il prévoyait le remplacement du juge d’instruction par un collège de l’instruction composé de trois juges, dans toutes les informations judiciaires et pour les principaux actes de l’instruction.

Ce dispositif n’a malheureusement jamais été mis en place. Or il permettrait un renforcement des droits des justiciables et une approche contradictoire de l’instruction. Nous déplorons que l’on renonce à le mettre en œuvre au nom d’une logique avant tout gestionnaire. Au contraire, nous considérons que cette réforme est indispensable et mérite que l’on mobilise les moyens nécessaires à sa mise en œuvre.

Enfin, nous regrettons la disparition de la vocation indemnitaire de l’action de groupe en matière de discriminations au travail. Si la finalité première de l’action de groupe est de faire cesser le manquement dans le cadre d’un dialogue avec les organisations syndicales au sein de l’entreprise, pour reprendre les termes du rapporteur, il est pour autant inadmissible de nier les dommages résultants de ces discriminations et la responsabilité de l’employeur.

De même, il est à nos yeux inconcevable de supprimer purement et simplement les actions de groupe en matière d’environnement, de santé ou de protection des données personnelles. Nous pensons que cela va totalement à rebours des aspirations de nos concitoyens quant à ce que doit être la justice du XXIe siècle.

Pour conclure, de manière générale, nous regrettons la modestie de l’ambition de cette réforme de la justice. Certes, elle comporte plusieurs avancées importantes, mais elle sera malheureusement bien insuffisante pour restaurer l’indispensable lien de confiance entre les citoyens et les institutions de la République.

Cécile Cukierman

Sénatrice de la Loire

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Modernisation de la justice du XXIe siècle : Une vision purement gestionnaire de la justice.

Par Cécile Cukierman, le 01 October 2016

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