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Rencontre de l'ANECR sur l'acte trois de la décentralisation : intervention de Christian Favier.

"Le projet annoncé d’acte III de la décentralisation mérite la plus grande attention de la part des élus communistes et républicains. Si, au final, l’ensemble des mesures annoncées était retenu, c’est tout le paysage de l’action publique, en général, qui s’en trouverait modifié. Aussi, mieux en comprendre les enjeux est essentiel.

Il nous faut en mesurer les incertitudes et les risques.

C’est d’abord et avant tout un projet de réforme qui recentre l’action de l’Etat, en lien avec la politique d’intégration européenne.

Il organise son désengagement de nombreuses compétences relevant jusqu’ici de sa responsabilité, avec de nouveaux transferts vers les régions d’abord, bien sûr, mais aussi, nous venons de le voir, vers les départements et les communes, ou plus précisément ce que l’on appelle le bloc communal, pour mieux faire disparaître les communes y compris dans le langage administratif et politique.

Ce faisant, ce projet porte la marque d’une conception d’un Etat se reconcentrant sur ses missions régaliennes, portée par les idéologues du libéralisme et par les traités européens, afin de réduire les dépenses publiques. D’autre part, concernant toujours l’action de l’Etat, ce projet de réforme porte un nouveau principe pour son organisation : celui de sa libre coordination avec l’intervention des collectivités territoriales. Ainsi, tout laisse penser que d’une région à une autre, l’action de l’Etat pourrait à l’avenir être différente.

Enfin, le dernier nouveau principe posé par ce texte est tout aussi important, même s’il n’apparaît pas au début de l’avant-projet que la ministre nous a remis.

Placé à la fin du titre II traitant de la clarification des responsabilités des collectivités territoriales et de l’Etat, ce projet de réforme introduit dans notre droit, le principe général de proportionnalités des normes concernant les collectivités.

Pour se faire, il propose que le législateur habilite le pouvoir réglementaire, c’est-à-dire le pouvoir central, afin qu’il dispose dorénavant de la possibilité de décliner les modalités d’application de la loi, à partir de critères dits « objectifs et rationnels », en rapport avec l’objet et sans remettre en cause ses objectifs (exemple de la non-obligation d’avoir un CCAS pour les petites communes).

Notons au passage que derrière ces critères, il y a celui de la capacité financière des collectivités territoriales à mettre en œuvre les lois. Or, ne nous le cachons pas, derrière le mot de normes, qu’il est bon de décrier aujourd’hui, se cache en fait toutes les réglementations qui régissent l’application de la loi partout, sur tout le territoire et pour tous, quelle que soit sa situation sociale.

Il s’agit donc de la déclinaison réglementaire de notre principe constitutionnel déclarant notre « République une et indivisible ». Il s’agit bien souvent de règles de sécurité, d’hygiène et de santé publique, de qualité des prestations offertes, d’égalité et d’accès aux services publics locaux.

Aussi, s’il est juste de vouloir réduire leur excès trop souvent bureaucratique et tatillon, toute version low-cost de leur application mettrait à mal notre pacte social et affaiblirait la protection des citoyens. Avec l’énoncé de ces trois nouveaux principes fondant l’action publique, il n’est nul besoin d’être grand clerc pour comprendre l’importance des bouleversements que leur application risque d’entraîner sur le terrain de l’égalité des citoyens et des territoires.

Plus que jamais, pourrions-nous résumer, il vaudra mieux vivre dans des territoires riches et pleins d’avenir que dans des régions définies comme pauvres et archaïques.

D’autant que ces nouveaux principes s’appliqueraient dans le cadre d’une architecture de l’organisation territoriale de notre République, elle aussi profondément remaniée.

D’abord en ne modifiant pas radicalement les termes de la loi Sarkozyste de 2010, portant réforme des collectivités territoriales, que nous avions combattue à gauche.

Certes, la disparition du conseiller territorial et le retour annoncé de la compétence générale en faveur des départements et des régions, sont des avancées importantes qui permettent d’envisager, en particulier, la pérennité de nos départements.

Mais tout le reste de la loi demeure, en particulier la marche forcée qui est en cours actuellement, comme nous venons de l’entendre par divers témoignages, vers l’intégration des communes au sein d’intercommunalités aux périmètres et aux pouvoirs élargis. (Le mode de scrutin par fléchage posant problème, puisqu’il échappera à la responsabilité du Conseil municipal).

Mieux même, pourrions-nous dire, c’est à ces intercommunalités administrativement contraintes, ne s’appuyant la plupart du temps sur aucun projet partagé, que les communes vont devoir déléguer de nombreuses nouvelles compétences, en particulier leur droit à gérer leur sol (à travers la mise en place du PLU intercommunal).

En fait, reconnaissons-le, l’objectif est maintenant clairement affiché. On ne parle plus de coopération, mais tout simplement d’intégration pour les communautés de communes, les communautés d’agglomération et les communautés urbaines.

Ainsi, le titre II de l’avant-projet parle d’intégration communautaire accrue, de compétences obligatoires et de compétences optionnelles renforcées, de services communs sécurisés.

Cette intégration sera encore davantage renforcée dans certains territoires, j’ai en tête ce qui se prépare pour Paris, Lyon et Marseille, mais aussi ce qui est prévu avec la création d’une nouvelle forme d’intercommunalité, la communauté métropolitaine, disposant d’encore plus de compétences.

Ces communautés pourraient se mettre en place dans 14 aires urbaines actuelles, absorbant près de 2 500 communes, regroupant plus de 10 millions d’habitants et impactant plus de trente départements et une douzaine de régions.

Avec de tels outils d’intégration, on ne peut être plus clairs dans la remise en cause du principe constitutionnel de libre administration des communes.

Mais, la remise en cause de ce principe ne s’arrête pourtant pas là et touchera aussi les autres collectivités territoriales.

En effet, la libre administration se trouvera affaiblie par la réaffirmation du caractère exclusif de certaines compétences attribuées à chaque niveau de collectivités, car du fait de la loi actuelle, il est interdit aux autres collectivités d’intervenir dans le champ d’une compétence attribuée de manière exclusive à l’une d’entre elles.

Enfin, ce principe sera, à nouveau mis, à mal par l’instauration au niveau régional et départemental de divers schémas directeurs prescriptifs qui, par définition, s’imposeront.

Ainsi, par différents biais, les compétences communales vont se réduire et la compétence générale retrouvée des départements et régions sera, particulièrement, encadrée. La libre administration va se restreindre et se mettra en place une concentration des pouvoirs locaux.

Par la même, le principe constitutionnel qui veut qu’aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre, sera lui aussi remis en cause, en particulier par le biais des conférences territoriales, des pactes de gouvernances et autres schémas prescriptifs, sans parler des nouveaux modes de représentation et la règle majoritaire au sein des intercommunalités, qui feront qu’une partie des communes pourra imposer ses choix à l’autre partie.

Pour toutes ces raisons, il est aisé de comprendre notre inquiétude face à cet avant-projet de réforme, d’abord du fait de son contenu et des orientations qu’il porte, mais aussi pour tous les sujets qu’il n’aborde pas et qui pourtant sont pour nous essentiels.

Je ne ferai que les citer, pour y revenir dans nos propositions. Le premier étant, chacun s’en doute, l’absence totale de la question financière, alors qu’aux états généraux organisés cet automne par le Sénat, la quasi-totalité des élus présents avaient exprimé leur volonté que soit réglée cette question avant toute nouvelle réforme. Or, depuis l’actualité, c’est le gel des dotations, donc leur baisse, et l’annonce de leur diminution pour les années à venir à un niveau considérable (3 milliards sur 2 ans).

Le deuxième point dont l’absence est remarquée concerne la situation des fonctionnaires territoriaux qui vont voir leurs postes de travail transférés d’une autorité à une autre, d’une localisation à une autre, et leur mission complètement chamboulée.

Enfin, pas un mot sur le nécessaire développement de la démocratie locale, mis à part un droit de pétition non contraignant. Compte tenu de l’ensemble de ces remarques, il paraît évident que ce projet porte bien une nouvelle vision de l’action publique locale, mais qu’elle est éloignée des attentes d’une part importante des élus locaux, et qu’elle ne répond pas aux besoins et aux attentes de nos concitoyens.

Au nom de l’efficacité recherchée, c’est la concentration des pouvoirs qui est proposée, au nom de la diversité de nos territoires, c’est l’inégalité et la concurrence qui va se mettre en place. C’est un projet qui porte dans ses fondements, l’éclatement de l’égalité républicaine. La vision que nous portons, part de cette même recherche de l’efficacité au service de la réponse aux besoins à partir de la diversité de nos territoires. Mais, nous n’aboutissons pas aux mêmes propositions. S’il fallait caractériser les étapes ultérieures de la décentralisation, nous pourrions dire que les lois Deferre de 1982 et 1984 furent celles de la libre administration des collectivités territoriales avec la fin de la tutelle préfectorale.

La deuxième étape, les lois Raffarin de 2004, fut celle des transferts de compétences (au demeurant très mal compensées). Aussi pour nous, celle qui doit s’ouvrir devant nous doit être celle de la coopération et de la co-élaboration, pour une décentralisation démocratique et solidaire.

Dans ce cadre, nous ne pouvons qu’acter de manière positive la proposition contenue dans les avant-projets de loi concernant la mise en place d’un haut Conseil des territoires qui deviendrait le lieu de dialogue permanent entre le pouvoir central et les collectivités territoriales, avec son observatoire permettant l’échange entre les collectivités.

Tout comme nous pensons que la conférence territoriale pourrait être le lieu de la coopération volontaire et non prescriptive, pour harmoniser la mise en œuvre des politiques publiques au niveau régional, dans le cadre d’un dialogue permanent entre les collectivités et l’Etat, et entre elles.

Partisans de ce dialogue, nous sommes favorables à la mise en place d’une telle structure de concertation dans chaque département. Pour que ces multiples concertations soient utiles à l’amélioration de la vie de nos concitoyens, leur objectif ne peut être la réduction de la dépense publique, mais au contraire l’amélioration de son efficacité pour toujours mieux répondre à leurs besoins, en renforçant, par exemple, la mutualisation de certaines actions.

Aussi, pour parvenir à de telles concertations efficaces, respectueuses de tous les élus, ce n’est pas de nouveaux transferts de compétences dont nous avons besoin, et encore moins de compétences exclusives attribuées à tel ou tel autre niveau de collectivités. Non, il faut au contraire un ensemble de compétences partagées, qui permettent à chacun de jouer sa partition dans le cadre d’une vision globale et à partir du principe de subsidiarité, pour favoriser le développement des politiques publiques.

Dans ce cadre, les trois niveaux actuels de collectivités territoriales doivent être maintenus, car chacun des territoires qu’elles représentent, disposent des périmètres pertinents pour mener à bien les politiques nécessaires au développement de notre pays.

Dans ce cadre, nous pensons qu’il faut refonder l’intercommunalité qui n’aurait jamais dû s’éloigner de son objectif, d’être un outil de coopération entre les mains des communes et non comme actuellement avec la loi de 2010 et comme le prévoit les projets actuels, des outils d’intégration forcée, visant à faire disparaître les communes. Les communes nous y tenons comme à la prunelle de nos yeux. Elles représentent, pour nous, des foyers de base de notre démocratie, elles sont des lieux de l’engagement citoyen au service de la collectivité, favorisant dans la proximité les échanges et les controverses nécessaires à l’expression du pluralisme. L’existence de 500 000 élus locaux n’est pas une charge mais au contraire, un formidable atout démocratique.

Les communes sont aussi des lieux de proximité au plus près des besoins et des attentes de nos concitoyens, qu’il nous faut sauvegarder. Pour que cette étape de décentralisation que nous appelons de nos vœux puisse se mettre en place pour que la coopération fonctionne, il faut que chacun soit respecté et que chacun dispose des moyens financiers pour exister.

Pour y parvenir, il faut que l’Etat joue pleinement son rôle en augmentant les dotations.

Dans ce cadre, il lui faut, à notre avis, augmenter ses ressources lui permettant de mettre en place une vraie péréquation verticale qui ne se fasse pas au détriment du plus grand nombre.

C’est pourquoi, nous portons la proposition d’une taxation des actifs financiers des entreprises.

Mais, il faut aussi que chaque niveau de collectivités dispose d’un panier fiscal dynamique, lui permettant d’intervenir sur leurs propres ressources, pour mettre en œuvre les politiques publiques que les électeurs ont choisies.

Enfin, il n’y aura pas de décentralisation démocratique et solidaire sans de nouvelles mesures favorisant l’intervention citoyenne à chaque niveau.

Cela passe par des avancées dans le domaine de la démocratie représentative pour revivifier la démocratie locale, donner toute sa place à l’expression du pluralisme par des scrutins proportionnels, par un statut de l’élu lui permettant d’exercer son mandat, par des droits renforcés des oppositions au sein des assemblées locales, par des consultations publiques obligatoires sur les grands projets engageant l’avenir de la collectivité.

Mais, il faut tout autant franchir un pas vers l’institutionnalisation d’une démocratie participative permettant l’expression permanente des citoyens, par le développement de l’information et de toutes les formes de concertation et d’intervention possibles.

S’il doit y avoir à l’avenir une co-élaboration des politiques publiques entre toutes les collectivités territoriales, et entre celles-ci et l’Etat, il faut tout autant créer les conditions d’une co-élaboration avec les citoyens eux-mêmes.

C’est un défi majeur qu’il nous faut relever.

Chacun l’aura bien compris, derrière nos inquiétudes face au projet actuel d’acte III de la décentralisation, il n’y a aucune réticence au changement, au contraire, mais nous refusons le moule de l’intégration, de la concentration des pouvoirs, de l’éloignement des citoyens des lieux de décisions, de la mise en concurrence des territoires, d’une régionalisation rampante et de l’austérité à tous les étages.

Nous avons une tout autre ambition pour nos territoires et pour notre pays."

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Rencontre de l'ANECR sur l'acte trois de la décentralisation : intervention de Christian Favier.

Par Christian Favier, le 21 February 2013

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