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Politique industrielle : Actes des rencontres européennes pour une politique industrielle, créatrice d’emplois et répondant aux besoins humains.

 
 

Colloque organisé sous l’égide de la composante française du groupe GUE/NGL Avec Jacky Hénin, député européen et Yves Dimicoli, économiste. Ce colloque s’est déroulé le 9 septembre 2011.

Ce que nous avons fait aujourd’hui n’est qu’un commencement. Il y a beaucoup de travail à faire et dans l’urgence car l’industrie et l’emploi industriel sont en train d’être saignés à mort dans nos territoires.

Je crois d’ailleurs qu’il faut se fixer un rendez-vous annuel sur la question industrielle et l’Europe. Comme vous l’avez dit la situation de la production et de l’emploi industriels est catastrophique en France et dans toute la zone euro. Du textile à l’automobile en passant par la construction mécanique, électrique, l’électronique, l’électroménager, la sidérurgie, la pharmacie, la navale, la chimie, le ferroviaire, et même maintenant l’agroalimentaire, la situation est critique. Seule l’aéronautique s’en tire encore bien.
Or l’industrie est indispensable au développement humain. Sans industrie pas de transition énergétique, sans industrie par de progrès en matière de santé,…etc. L’industrie est aussi le sujet d’un formidable affrontement de classe : Quelles richesses produire ? Comment les produire ? Pour satisfaire qui et quels besoins ? Produire ce qui demande peu d’investissement et rencontre une forte demande solvable,ou produire et investir pour la réponse aux besoins humains.

L’industrie pharmaceutique est au coeur de tels enjeux : produire des médicaments de confort et investir sans compter dans le marketing afin de capter une clientèle solvable ou chercher et produire pour répondre aux besoins de santé de toute l’Humanité.
L’industrie doit-elle produire pour enrichir les actionnaires ou pour répondre aux besoins humains ? Certes, du fait du formidable progrès de la productivité, l’industrie ne crée pas toujours un nombre considérable d’emplois directs, mais l’industrie permet la création d’emplois de qualité et de beaucoup d’emplois indirects. Par la richesse et la plus value qu’elle produit, l’industrie permet aussi un formidable développement des territoires dans la mesure où elles ne sont pas captées par la finance. Mais cela c’est la lutte des classes.

Les chiffres sont terribles pour notre pays : – Depuis 1980, l’économie française a détruit près de 2 millions d’emplois industriels. De 2000 à 2007, 63 % de ces destructions résultent des conséquences de la libéralisation du commerce international. – En 1980, l’industrie avec ses services attachés et l’intérim, employait 6 millions de salariés. 27 ans plus tard en 2007, ils n’étaient plus que 4,6 millions. à la fin de l’année 2009, ce nombre se voyait réduit à peine à 4,1 millions. Ce phénomène de désindustrialisation massive de la France a réellement débuté avec le tournant libéral de 1983. Il s’est accéléré une première fois à l’orée des années 2000, avec la montée de délocalisations vers les pays émergents, et il a connu une seconde accélération avec la crise financière de 2007. Ainsi plus de 190 000 emplois dans l’industrie ont été détruits en France pour la seule année 2009 à comparer avec les 70 000 perdus en 2007, et les 120 000 en 2008. On n’ose imaginer les chiffres de 2010. – En 2009, on estime que sur 5 destructions d’emplois industriels, 3 ont été dus à l’augmentation de la productivité apparente du travail et 2 aux délocalisations en particulier vers les pays émergents. Le mouvement de transfert de la production industrielle vers les pays émergents s’amplifie de mois en mois, parallèlement aux départs en retraite des salariés les plus qualifiés de la génération du Baby Boom. – En 30 ans, les grands groupes industriels européens ont muté. Ils ne daignent conserver un outil de production et de recherche dans les pays développés qu’aux termes d’audits financiers très poussés et d’une très forte pression sur les salariés et l’emploi : nivaux des salaires, intensité du travail, aides publiques substantielles. Ils n’hésitent plus à vouloir imposer des baisses de salaires brut ou des mutations autoritaires à l’étranger pour des salaires nets mensuels de 300 €. – En 1980, il fallait dans l’industrie 18 500 personnes pour créer une valeur d’un milliard d’euros de richesses. Aujourd’hui, il suffit de 3 900 salariés pour produire ce même milliard d’euros (1) de richesses. Soit un rapport de 1 à 4,74 ; la productivité apparente du travail industriel s’est donc accrue deux fois plus vite que les nivaux des salaires et du PIB ! Les salariés n’ont ainsi perçu qu’une infime partie de la richesse produite par ce gigantesque effort de productivité. Par contre, ils ont dû assumer une très forte intensification de leur travail et la dégradation de leur protection sociale et contractuelle. L’essentiel de ces gains de productivité ont été gaspillés dans des activités financières et dans des exportations massives de capitaux.

Contrairement aux affirmations du discours politique dominant, jamais le nombre et la qualité des emplois industriels détruits depuis la fin des années soixante-dix n’ont pu être compensés par le développement d’activités de services ou de nouveaux secteurs industriels.

C’est pourquoi il serait naïf de croire que les nouveaux emplois de la croissance verte vont remplacer en termes de salaires, de cotisations et de protections sociales, les actuels emplois industriels qui sont aujourd’hui détruits.

Les études les plus optimistes parlent de seulement 220 000 emplois créés dans le secteur « vert » d’ici 2020 alors que la Chine, l’Allemagne et le Japon sont déjà devenus les leaders technologiques des industries liées aux énergies renouvelables. Aussi utile qu’elle soit, la croissance verte ne créera spontanément pas plus d’emplois de qualité que ne l’a fait la « révolution numérique » dans les années 1990. Si, certes, certains emplois verts sont souvent indélocalisables, les salaires, les droits, la protection sociale, et les conditions de travail de ces emplois peuvent être attaqués et dépaysés par, entre autre, la traduction en droit français de la directive services, la sinistre Bolkestein.

Le processus de désindustrialisation dans la zone euro se caractérise par : – Une vision de la productivité focalisée (rebaptisée au passage compétitivité) sur la réduction du nombre d’emplois et la baisse de la masse salariale. – Un désinvestissement du territoire national au profit de la fuite des activités vers les pays émergents au fur et à mesure des départs à la retraite des salariés les plus qualifiés. Dans le même mouvement que le départ en retraite des « papy boomer » on organise de la pénurie des jeunes formés aux métiers hautement qualifiés de l’industrie pour rendre « inéluctables » les délocalisations. – La dépossession des salariés de leur savoir-faire (2). – L’éclatement de la structure traditionnelle des entreprises et des collectifs de travail avec les externalisations d’activités, les mises en sous-traitance, les filialisations… Vous l’avez dit, au coeur des entreprises, on substitue aux rapports de coopérations des rapports de mise en concurrence et de clients/fournisseurs. Ceci se conjugue avec une explosion de l’instabilité, de la flexibilité, la baisse des salaries réels, une grande précarité, un rationnement de la formation, une absence de promotion interne et une pression réticulaire permanente extrêmement stressante sur les salariés. On dévalorise la représentation sociale des salariés et de leur travail.

Les chantages aux délocalisations et à l’emploi se multiplient pour obtenir des baisses des salaires, la remise en cause des 35h et de tous les acquis sociaux.

Les délocalisations qui dans les années 1990 étaient essentiellement intra-européennes se focalisent maintenant vers les pays émergents. Elles se conjuguent avec une destruction du tissu industriel avec de nouveaux rapports entre les « donneurs d’ordres » et sous-traitants qui forcent ceux-ci à supporter tous les risques et à délocaliser. La crise financière a boosté les délocalisations et changé leur nature. On délocalise maintenant aussi les productions à hautes valeurs ajoutées y compris les activités de bureau d’études et de R & D. Ce mouvement affecte les grands groupes comme les PMI/PME.

Les entreprises industrielles grandes ou petites sont rongées par un véritable cancer financier. Elles subissent la loi des prédateurs que sont les différents fonds financiers, avec en particulier les « Private Equity » et leur « LBO ». En la matière la responsabilité des banques et des institutions financières publiques comme privées est accablante.

Le poids de la finance dans la gestion des entreprises et les choix stratégiques, y compris celui de délocaliser, est déterminant. Nous vivons le triomphe du court terme et des actionnaires rois !
La structure des groupes, les systèmes d’information, les rapports de pouvoirs à l’intérieur des entreprises se métamorphosent ainsi sous la pression des marchés financiers. L’Europe vit aussi l’échec de la Stratégie de Lisbonne qui devait « faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici 2010, avec une croissance durable assise sur une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et sur une plus grande cohésion sociale ».

La libéralisation du commerce international, selon la théorie économique classique des avantages comparatifs, devait déboucher sur le bien-être général, dans le cadre d’une division du travail entre pays émergents, Occident et reste du monde. À l’Occident la finance et les activités à haute valeur ajoutée, aux émergents la production à faible valeur ajoutée, au reste du monde la production de matières premières alimentaires ou minérales.

En réalité, le libre échange sans entrave a entraîné une mise en concurrence mondiale féroce, des salariés, des territoires, des systèmes fiscaux, sociaux et sanitaires, pour l’unique bonheur des marchés financiers. La maîtrise de la connaissance est devenue un terrain d’affrontement central entre le capital et le travail.

L’industrie des pays émergents monte d’une manière accélérée en puissance et en gammes. C’est la Chine et non l’Europe qui met en oeuvre les objectifs de la Stratégie de Lisbonne. En 2010 les dépenses de R & D publics et privés de la Chine ont rattrapé celles de l’Union européenne. Le taux de croissance annuel des dépenses de la Chine en R & D est de 10 % contre 0,7 % pour la France. La Chine forme chaque année 800 000 doctorants en sciences. À très court terme la Chine aura plus d’ingénieurs et de chercheurs que les États-Unis et l’Union européenne réunis.

Les groupes industriels, intoxiqués par la finance, sont devenus apatrides. Les Holding contrôlant Renault et EADS sont de droit hollandais et Air France menace de déménager son siège social à Amsterdam pour payer moins d’impôts et de cotisations sociales.

Ce qui est bon pour les grands groupes « français » l’est pour les actionnaires mais pas pour les salariés. Le cancer financier qui affecte les grands groupes européens conduit à des « accidents » industriels graves en raison de la pression de la rentabilité financière : on peut citer l’explosion de la plate-forme de BP, les problèmes de production de l’A380, les retards de l’EPR, de l’A400-M, les pannes et accidents de l’ICE et d’Eurostar. La stratégie financière remplace la stratégie industrielle avec le succès que l’on sait.
On nage dans le mythe « des entreprises sans usines » de Serge Tchuruk l’ex-patron et fossoyeur d’Alcatel. En Occident les « cerveaux » fuient les faibles salaires de la recherche et de l’industrie pour la finance. Quel gâchis pour toute la société de voir des mathématiciens et des ingénieurs devenir trader.
Depuis les années 1980, les réponses politiques des différents gouvernements, de la BCE et de la Commission européenne, à la désindustrialisation structurelle n’ont consisté qu’à augmenter de la compétitivité par la baisse des salaires réels, l’intensification du travail, la flexibilité et la mobilité des salariés, la robotisation et l’automatisation. Ils n’ont su que baisser les cotisations sociales et les impôts des entreprises – ce qui fait qu’aujourd’hui, scandale des scandales, Total paye zéro euro d’impôt sur les sociétés. Ces politiques n’ont pas réussi à freiner la désindustrialisation ; elles ont au contraire contribué à fragiliser l’emploi industriel.
Cette situation catastrophique de l’industrie nationale qui oblitère l’avenir de l’Europe et de notre pays doit nous conduire à dégager et à mettre en débat au plus vite des axes de travail pour sauvegarder et développer l’activité et l’emploi industriel, dans notre pays et en Europe, dans le cadre de productions répondant aux besoins humains.

Pour ma part je vois au moins 7 axes de travail à explorer en urgence :

1er axe : combattre le cancer financier qui détruit notre industrie. Ce combat passe par une maîtrise sociale du crédit, voire une « réquisition » du crédit au service de l’emploi, de la R & D et de l’activité. Cela passe par la mobilisation des fonds de la BEI (3), la mise en place d’un pôle public des banques, des assurances et du crédit au niveau national et européen, mais aussi par des FREF (Fonds régionaux pour l’emploi et la formation), un FNEF (Fonds national pour l’emploi et la formation) et un Fonds européen pour la réindustrialisation et la relocalisation. Ces différents fonds et les pôles publics devraient se substituer aux fonds financiers afin de fournir du crédit bonifié aux entreprises sous conditions d’emploi, de formation et de recherche, mais aussi en fonction de l’utilité sociale des productions. Il s’agit d’utiliser la finance pour produire mieux et plus. C’est à- dire investir sur l’humain pour produire, en consommant moins de capital, d’énergie et de matières premières.

Le 2e axe de travail doit être la propriété intellectuelle. On l’a dit : la maîtrise sociale de la connaissance est devenue un terrain d’affrontement central entre le capitalet le travail, aussi importante que l’appropriation sociale des moyens de productions et d’échanges. L’appropriation sociale des savoir-faire et des connaissances passe par la maîtrise par les salariés de la propriété et de l’usage des brevets, des copyrights, de la propriété intellectuelle, un effort massif de formation initiale et continue en faveur des filières scientifiques et techniques et la valorisation dans toute la société de la culture scientifique et technique (4). La Chine l’a compris contrairement à notre pays. On ne peut plus laisser les actionnaires s’approprier le savoir-faire des salariés. C’est ce vol de connaissance et de savoir-faire qui donne aux actionnaires le pouvoir de délocaliser.

3e axe : sécuriser l’emploi et la formation tout au long de la vie tout en augmentant les salaires et en améliorant les conditions de travail.

4e axe : de nouvelles formes d’appropriations sociales c’est-à-dire des nationalisations démocratiques débouchant sur des réorganisations des secteurs industriels stratégiques en répondant aux besoins humains d’aujourd’hui. Par exemple : la création d’un pôle public énergie-traitement des déchets.

5e axe, sur lequel nous avons le plus à travailler : un autre gouvernement de l’entreprise, un autre mode de production. C’est-à-dire : Des pouvoirs d’interventions effectifs et d’initiatives des salariés sur les choix de gestion, l’organisation et la stratégie des entreprises. Des pouvoirs aux citoyens sur les modes de production : que produit-on ? Comment ? À quelle fin ? Où ? Dans le cadre de quels rapports sociaux ?
C’est aussi produire pour répondre aux besoins humains et non pour satisfaire les intérêts des actionnaires. Il s’agit d’investir dans la R & D et les activités industrielles permettant de construire des réponses durables aux défis de la crise écologique et à l’épuisement de certaines ressources naturelles.

6e axe : agir en Europe avec L’abrogation des directives européennes impliquant la séparation entre la production et les réseaux pour les services publics de réseaux. Par exemple : SNCF/RFF, Edf/erdf. Le retour aux subventions croisées, aux péréquations, aux aides d’État ;
La mise en place d’une vraie politique industrielle européenne. Ce qui implique l’abrogation de l’article 110 du traité de Rome et de l’article 157 titre 16 du traité de Lisbonne. Et de déboucher sur la création de groupes publics européens fondés sur la complémentarité et la mutualisation des investissements et des compétences ;
La mise en place d’un vrai Fonds européen d’aide à la réindustrialisation et aux relocalisations, sur la base de crédits sélectifs et de véritables plans de formation ;
Un investissement massif dans la recherche développement, public comme privé. Pour le privé, le financement de la recherche doit passer par des outils comme les avances remboursables et par des engagements stricts sur l’emploi (créations, salaires, pérennité, localisation) et la propriété sociale des brevets ;
De grands programmes technologiques comme Galileo (5) dans le cadre de structure de Groupement d’intérêt économique (GEI) et d’agences publiques.

7e axe : agir dans le monde
En remettant en cause les règles de l’OMC pour protéger les salariés, les citoyens et les territoires des dumpings salariaux, sanitaires, sociaux, fiscaux, et environnementaux. Il ne s’agit pas de pratiquer un protectionnisme qui conduirait à l’autarcie ou à la destruction des économies émergentes mais de remettre en cause un libre-échange sauvage et dévastateur.
Il est normal et nécessaire que des peuples puissent, à un moment donné, aider et protéger certaines filières stratégiques. Sans aide d’État Airbus n’aurait jamais pu voir le jour, mais si l’Europe avait pratiqué le protectionnisme cela aurait empêché son développement.
Les droits de douanes doivent être utilisés comme des outils de politique industrielle et de coopérations multilatérales et non comme des armes de guerre économique. Il faut, à capacité et moyens de production équivalents, créer les outils douaniers et fiscaux pour encourager les convergences de progrès en matière de salaire, de droits sociaux, de fiscalité, de normes environnementales et sanitaires ;
En repoussant la guerre économique et en favorisant les coopérations et les mutualisations avec les pays émergents ;
En refusant l’hégémonie du dollar et de l’euro et en agissant pour la création d’une monnaie commune mondiale comme le proposent les BRIC ;
En soustrayant de la loi du marché, pour créer des biens et services publics communs de toute l’humanité, les secteurs de l’eau, de l’énergie, des déchets, de l’armement, du logement, de la formation, de l’information, de la santé et de la culture.

(1) En euro constant.
(2) Lorsqu’une entreprise est dépecée par une LBO, il ne reste souvent plus que ses brevets pour la valoriser sur le marché. De même l’achat d’une entreprise rivale permet d’acquérir à bon prix les brevets, tout en licenciant les salariés de l’entreprise achetée.
(3) Banque européenne d’investissement.
(4) Je pense en particulier aux médias.
(5) Ce qui n’enlève rien à la gestion calamiteuse par les institutions européennes de ce programme essentiel à l’indépendance de l’Europe vis-à-vis des états-Unis.

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